Présentation du roman ÉQUATEUR
Jean-Luc Despax
Professeur Agrégé de Lettres-Modernes, à la MAL, le 6 octobre 2016
« J’interviendrai juste sur 3 points :
Je partirai d’abord de Michaux : Ce n’était pas un saint homme. J’ai appris cette année, à l’occasion d’une biographie du sinologue Simon Lez, que Michaux avait fait une édition expurgée du Barbare en Asie de manière à mieux la commercialiser à Pékin sans choquer les autorités. Cela, c’est quelque chose qui m’a personnellement choqué.
Donc Michaux n’était pas un saint et je puis ainsi comprendre que par rapport à Ecuador par exemple, il puisse y avoir des visées qui ne seraient pas forcément saines. Tout le monde le sait aussi, c’était un homme torturé qui avait connu des drames et qui avait une vision existentielle très sombre, que l’on retrouve dans la plupart de ses poèmes, y compris sous la forme la plus absolue de la fantaisie : il y a toujours une forme spiralaire et tourbillonesque, un peu vers le néant, vers les expériences de l’ultime, pour interroger comme cela.
On peut comprendre que l’on retrouve tout cela dans le roman. Vous vous ferez de toute façon un avis en lisant le livre, comme je me suis fait un avis en écrivant la préface. Je pense que ce n’était pas une attaque, mais c’est discutable, je pense que ce qu’avait écrit Michaux n’était pas une attaque contre l’Équateur. Je pense en revanche que c’était une attaque, une défense ou une mise à nu devant l’humanité, devant ce qu’est un être humain, et devant, au fond, les limites d’un être humain.
On a entendu tout à l’heure évoquer dans le texte de Sylvestre et aussi dans la présentation de Mme l’Ambassadrice, la distinction précisément, évidemment, entre la romancière et la narratrice- personnage. Je crois qu’il faut aussi faire cette distinction entre Michaux, le personnage, le poète extrême, et, Michaux, l’anti-héros qui est enlevé par la narratrice-personnage.
Le deuxième point que je voulais développer, c’est que, malgré tout et de toute façon, à fréquenter un écrivain ou à écrire sur lui, à écrire à ses côtés, ou à écrire devant lui, même d’un point de vue fictif, on est dans un processus d’envers et d’endroit.
D’une certaine manière la fantaisie torturée de Michaux trouve son complément dans la fantaisie tourbillonnante, la joie absolue du texte de Rocio mais qui n’exclut pas non plus, évidemment, des interrogations existentielles puis des interrogations aussi sur notre époque.
C’est d’ailleurs ce qu’a évoqué tout à l’heure Sylvestre lorsqu’il décrivait la grande angoisse par rapport à l’état actuel de la société (beaucoup d’histoires de cartes de crédit, de monnaie à échanger dans le roman, de grands magasins, de volonté de trouver la lumière à l’écart de la grande ville...). Donc finalement l’inquiétude peut se cacher aussi derrière la joie tourbillonnante chez Rocio de la même manière qu’une forme d’espoir ou d’humour à la belge-francisé naturalisé pouvait se retrouver chez Michaux.
C’est mon deuxième point. Je veux dire qu’il y a, qu’il y aurait une fréquentation non pas des personnages mais de l’auteur Rocio et de l’auteur Michaux.
Mon troisième et dernier point. Je voudrais saluer chez Rocio une forme de courage littéraire au-delà de la joie. Courage littéraire qui m’interpelle en tant qu’écrivain français sans parler de roman latino.
Beaucoup de choses m’interpellent car elles relèvent du courage et d’une forme de chemin. C’est par exemple ce qu’a dit Sylvestre, en citant Claude Couffon, le mélange de prose et de poésie. Ça s’est très risqué, c’est très aventureux mais c’est très salutaire aussi, c’est très important. Par exemple oser faire un roman sur un poète aujourd’hui, faire un roman qui contient une analyse des poèmes de Michaux, des citations des poèmes de Michaux mais aussi un dialogue poétique avec les propres poèmes de Rocio (qui ne sont pas des poèmes qui ont une vocation de remplissage. C’est tout le contraire. Ce sont des poèmes) qui sont des dialogues avec sa prose.
Osez cela aujourd’hui, cherchez dans les librairies quels poètes français aujourd’hui pourraient oser cela : Vous n’en trouverez pas.
Vous ne trouverez pas d’avantage l’expression d’une joie, l’expression d’un imaginaire, parce qu’il y a quelque part une forme d’épuisement, de refus de prendre des risques au bout de 50 ans de dictature du lettrisme, des fausses avant-garde ou des vrais, qui ont un peu dévié en France.
C’est pour cela que c’est un roman qui fait du bien, parce que tout simplement il associe la poésie à la joie, à l’aventure, à l’humour, au récit policier, aux voyages aux questionnements contemporains.
Et je finirai par-là: par ce que ce n’est au fond qu’un poème, qu’il soit de poésie ou de narration, un poème qui se fait avec les poèmes qui l’ont précédé et qui se fait donc dans une forme de dialogue. Alors bien sûr vous lirez le roman et vous verrez que Michaux reste muet, mais à lire les pages de Rocio je pense au contraire que le dialogue a été plus que fructueux.
Paris, 6 octobre 2016
(Propos enregistrés et publiés avec l’accord de JLD).
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