ROCÍO DURÁN-BARBA
Claude nous a quitté. La nouvelle vient de tomber telle la pluie froide et pâle des Andes, ici en Équateur, pays qu’il avait visité avec plaisir et même avec un grand enthousiasme.
Je suis triste, remplie d’émotion, sentiment que je partage avec vous, sa famille et ses amis qu’il a laissés ici, dans ce monde. La seule chose que je peux faire étant loin si loin dans mon pays, c’est d’être présente là à côté de vous tous avec mon esprit. Près de lui avec ma pensée et mes souvenirs sur notre amitié, notre complicité littéraire.
Je garderai en mémoire le personnage tout à fait particulier et généreux qu’il fut. Son regard si intelligent, sa plume si douée, son enivrement pour la littérature latino-américaine... et tout particulièrement son amour pour la traduction. Je continuerai à le dévisager entre ses papiers, surtout entre ses dictionnaires... des livres si beaux, si vieux... dont il feuilletait toute les pages qu’il scrutait avec sa loupe. Cherchant infatigablement la justesse dans les mots, la finesse dans l’expression, la beauté dans la poésie.
Maintenant je voudrais élever ma voix spécialement pour dire combien la littérature Équatorienne lui est redevable, car c’est lui qui a donné un premier écho international à nos œuvres, en traduisant la poésie de Jorge Carrera Andrade, un roman de Jorge Icaza, et quelque pages d’autres écrivains majeurs Équatoriens.
D’ailleurs il convient de rappeler que Claude avait commencé sa grande carrière de traducteur – de promoteur du « boom » de la littérature latino-américaine à Paris – en traduisant l’œuvre du poète Équatorien Jorge Carrera Andrade. Curieusement la traduction de mes œuvres marque aussi la fin de sa carrière de traducteur. Un journaliste de Radio France lui avait d’ailleurs fait observer lors d’une interview qu’il avait commencé et terminé sa carrière par la traduction d’œuvres d’écrivains Équatoriens. J’étais à ses côtés : « Ah oui... – avait-il répondu – tiens, je ne m’en suis pas aperçu ! »
C’était sûrement une coïncidence. Une coïncidence quelque peu étrange ou poétique de la vie... peut-être était-ce ainsi que la boucle devait être bouclée...
Un torrent de voix plein de souvenirs et d’admiration se lèvera maintenant pour rendre un hommage mérité à sa mémoire, car il fut le traducteur et l’introducteur d’écrivains majeurs de la littérature hispano- américaine: Pablo Neruda, Gabriel García Lorca, Gabriel García Márquez, Juan Rulfo, Miguel Ángel Asturias... Aussi il fut un critique littéraire unique et le découvreur de grands écrivains. C’est lui qui a lancé sur la scène littéraire Mario Vargas Llosa, entre autres.
Personnellement, de Quito où je me trouve, au centre du monde en Équateur, je le vois partir en chantant ses poèmes, car c’était un poète. Toujours respectueux des poètes qu’il admirait et traduisait, il écrivait aussi des poèmes personnels pour lui même et chérissait les dix recueils de poésie qu’il avait publiés.
Certes, ce sont ses poèmes qui racontent sa vie, ses amours, ses rêves, ses angoisses... Sa poésie un peu secrète, discrète; méconnue, mais permanente. Une feuille et un crayon étaient toujours à sa portée pour y laisser son « inspiration » qui d’après lui venait d’un autre... d’un autre Claude, poète celui-là...
Mais c’était bien lui même. Je me souviens du jour où je lui avais proposé de traduire en espagnol son dernier recueil de poèmes Intimités – pour le remercier des nombreuses traductions qu’il avait consacrées à mon œuvre littéraire – et j’ai connu la joie qui a rayonné sur son visage lorsqu’il a découvert la publication de ses poèmes en version bilingue.
Je le vois partir avec ses recueils de poèmes dans son cœur, avec son portefeuille usé, bourré d’histoire et d’histoires... avec son verre de vin à la main, son sourire coquin ; avec les petits et grands secrets de sa vie. Et je le salue ainsi car ce fut un grand personnage.
Quito, le 19 décembre, 2013.
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