sábado, 22 de octubre de 2016

Equateur: Rocio Duran-Barba, magicienne de la langue

Rocio Duran-Barba, magicienne de la langue

Rocio Duran-Barba, peintre et poète, conteuse et romancière est une magicienne de la langue. Sa prose poétique emporte tout sur son passage, comme le ferait la lave d’un volcan ou l’immense vague déferlante d’un tsunami. On se souvient de la véritable jubilation à la fois somptueuse et baroque avec laquelle la narratrice de son beau roman París, sueño eterno (Eskeletra Editorial, Equateur, 1997), traduit en français par Claude Couffon et publié en 2003 par INDIGO, à Paris, nous faisait partager sa passion de jeune équatorienne éprise de Paris, la ville lumière, qu’elle découvrait-parcourait en tous sens, avec frénésie et ferveur, en infatigable marcheuse.

Aujourd’hui, Rocio Duran-Barba, nous livre chez Allpamanda, dans une très belle édition, un roman intense et magique, Equateur. Elle y dépeint avec la maestria dont elle est coutumière son pays aimé, son Equateur natal où se côtoient des femmes et des hommes, fiers de leurs origines et de leur histoire. Elle y oppose ce beau pays, ce pays de rêves qu’elle veut nous faire connaître et apprécier au pays fictif, si mal décrit et interprété à ses yeux par Henri Michaux dans son récit / journal, Ecuador, paru à la NRF, en 1929, et qui lui valut ses premiers succès littéraires.

La narratrice d’Equateur, se révolte et s’insurge contre le livre de Michaux, qu’elle considère être une trahison. Elle le vit comme une véritable imposture. Elle est dégoûtée par toute cette fausseté, voire cette malhonnêteté qu’aurait mises le fameux Michaux à donner une image terriblement négative du pays qu’elle aime, de cet Equateur beau pays de ses ancêtres aux montagnes et aux cimes magnifiques.

Voici ce qu’elle en dit pour nous le faire aimer, quand Michaux, lui, le dénature (je la cite, page.81) :

« Paysage changeant-serein-vivant
Tableau fait du souffle
Et de la grandeur des Andes
Une Histoire différente
Avec ses altérités-inégalités
Ses souvenirs
Tremblant dans l’imaginaire
Ses croyances
Etalées dans la mémoire
Une existence abritée par la nature
Mêlée aux champs de maïs
A l’ocre des champs de paille
Se fondant dans la sève des agaves
Et des arbres ancestraux
Qui sont ces habitants
Aux yeux noir-cerisier ?
Autre langage
       Autre monde
               Equateur »

Et cet amour, cette humaine interrogation, elle les crie en réponse à la détestation de Michaux – ou du moins à ce qu’elle ressent et vit comme tel – lorsqu’il écrit :

Quito et ses montagnes. Elles tombent sur lui, puis s’étonnent, se retiennent, calment leurs langues ! c’est chemin ; sur ce, on les pave. Nous fumons tous ici l’opium de la grande altitude, voix basse, petit pas, petit souffle, Peu se disputent les chiens, peu les enfants, peu rient.

La narratrice d’Equateur n’a de cesse de protester. En constatant la direction que prennent les dires de l’écrivain, elle lui répond :
« Ne soyez pas ridicule. Les montagnes ne tombent pas sur ma ville. Non, non». Et elle revient à l’appréciation négative de l’écrivain concernant    ses    compatriotes :    « En    plus,    les    indigènes    ne    sont    pas brachycéphales ! », s’écrie-t-elle. Elle entend bien défendre ces habitants qui marchent dans la ville sous le poids de balluchons recouverts de longs ponchos, ces indiens qui sont ses frères et qu’elle aime.

Mais reprenons le fil de cette histoire d’attaques et de défenses que l’auteur imagine pour nous faire connaître et aimer son pays, l’Equateur. Nous constatons d’emblée que Rocio Duran-Barba, écrivaine équatorienne, nomme avec humour son ouvrage en français, Equateur, alors qu’Henri Michaux, écrivain belge et francophone, prenant la pose, avait titré en espagnol son carnet de voyage, Ecuador.

Elle nous conte alors l’histoire d’une Equatorienne venue faire des études en Europe et découvrant lors d’un séjour à Vienne, en Autriche, un exemplaire du livre de Michaux, Ecuador, traduit en allemand, qu’elle ne connaissait pas et qu’elle trouve incompréhensible. Je la lis : (page 84)

«J’étudiais à l’Université de Vienne lorsque j’appris l’existence d’Ecuador et me procurai la version allemande. Imbroglio de l’enfer. Ce fut illisible. J’en fus vivement agacée et renonçai à cette lecture. À l’époque je me dis que ma connaissance de la langue allemande ne devait pas être suffisante pour l’apprécier. Ce n’est que plus tard que je réalisai que, quelle qu’en soit la langue, il s’agit d’un écrit tortueux-inextricable.
« En m’installant en France, je m’intéressai de nouveau au livre. Car ici mon pays était plutôt méconnu. On le confondait, allant jusqu’à supposer qu’il se situait en Afrique. Ou bien, qu’il s’agissait d’une ligne imaginaire... De plus, souvent, je trébuchais sur le fatidique commentaire : ‘‘ C’est comme si je l’avais visité, j’ai lu Ecuador. ’’
« Je ne tardais pas à me précipiter une fois de plus à la poursuite de l’ouvrage. Mais une recherche ne s’avéra pas nécessaire. Il comptait plusieurs rééditions. Était disponible dans toutes les librairies. Je l’obtins, sans difficulté. Et bien que chaque page exigeât l’utilisation d’un dictionnaire, j’en compris le contenu. Un sentiment d’infinie tristesse m’envahit... Plus tard, je le relus encore et encore pour vérifier si son sens, sa signification, ne m’avaient pas échappé. Et la première impression que le livre avait suscité en moi, s’installant dans un recoin de mon âme, resurgissait toujours. Grandissait en s’exacerbant. Un jour, se transforma en blessure.
« C’est alors que je fus prise d’une véritable obsession- hallucination. Je me mis à le pourchasser. À acheter tous les exemplaires qui tombaient entre mes mains. Dans le seul but de le faire disparaître ! »

On le voit elle est totalement bouleversée et révoltée. Au point qu’un jour elle se dira à elle-même c’est assez. Ainsi commence le roman de Rocio Duran-Barba, par le récit de sa narratrice qui s’écrie (page 13 sq.) :

Assez !
Un jour me suis-je dit : « Assez ! »
En Europe le même scénario se répétait, à l’infini. Des semaines durant.
Des mois durant. Des années. Vingt ans !
« De quel pays êtes-vous originaire ? »
« De l’Equateur... »
« Ah ! L’Equateur... »
« L’avez-vous visité ? »
« Non, mais c’est comme si je le connaissais. J’ai lu Ecuador, le livre de Michaux ».
« ... c’est comme si je le connaissais, J’ai lu Ecuador, le livre de Michaux ».
« ... c’est comme si je le connaissais, J’ai lu Ecuador, le livre de Michaux ».
Quel écho !
Inépuisable.

« Peu d’Européens ont visité mon pays, nous dit-elle, mais un bon nombre d’entre eux ont lu ce texte. Et un livre constitue un univers à part entière. Il possède le don de la parole, de l’idée, du concept, de la communication. Il peut incarner le divertissement autant que le vice de la dégradation, de la malédiction,    de    la    perversité. »    Puis    elle    déplore    ceci :
«Ecuador est un texte conçu sous forme de cercles concentriques dont les étranges paragraphes décrivent mon pays comme un nuage noir serti de villes-asphyxie. Peuplé d’habitants ridicules. Avec des abîmes, vallées, volcans minables. Lagunes infectes. Jungles infernales. Maladies galopantes. Déserts impuissants. Avec des monstres au lieu d’insectes. Tigres, boas, vampires à l’affût. Terre abjecte! Bourrée de misères. Incrustée de lépreux et d’Indiens méprisables, Yumbos, Jivaros, Aucas répugnants. Un exotisme repoussant. Et surtout une vision humiliante. »

Elle va en conséquence décider de se venger et de planifier sa vengeance.

Elle recherche l’auteur du livre et le trouve assez facilement puisqu’avec Ecuador il a gagné sa place dans ce qu’elle nomme le Musée de l’Immortalité, un Palace dans la ville de Paris. Elle s’y rend en vue d’une confrontation avec l’écrivain et sa mission consistera à l’enlever, à le séquestrer, à le faire s’effacer pour le faire tomber dans l’oubli.

Après avoir trébuché sur Marguerite Duras, elle distingue Michaux, « éblouissant d’orgueil du haut de son piédestal ».

Elle parvient à l’enlever et à le séquestrer dans un repaire qu’elle a aménagé à cet effet. Et c’est alors que commence le plus désopilant, le plus jubilatoire des romans latinos, dont je tairai les fantasques péripéties et l’étonnant dénouement, écrit par un auteur qui dispose des qualités multiples liées à tous les arts qu’elle cultive et illustre de belle manière.

C’est cet étonnant roman, Equateur, que je vous invite à lire après avoir jeté votre ou vos exemplaires d’Ecuador de Michaux, car l’auteur immortalisé s’avérera quant à lui incapable pendant sa captivité d’écrire autre chose que ce qu’il a déjà écrit.

Vous retrouverez dans Equateur, l’originalité de l’écriture de Rocio Duran-Barba qui avait surpris, intrigué et fasciné le grand traducteur que fut Claude Couffon lorsqu’il découvrit, en 1999, París sueño eterno, l’œuvre à laquelle je faisais allusion au début de mon propos:

« Il y avait là, je le cite , sous la dictée de l’expérience vécue et la profondeur de la culture, un récit qui se dérobait à l’analyse, mais qui s’imposait à coups de phrases brèves, haletantes, très suggestives. Un style halluciné, hallucinant, mêlant prose et poésie, réalisme et fantastique, humour et magie, pour exprimer les délires et l’angoisse d’une société urbaine livrée à une modernité effrénée en cette fin-début de siècle. »1

Telle est bien, en effet, le style et l’originalité de cette talentueuse écrivaine.

Sylvestre Clancier
Paris, 6 octobre, 2016.

1    Claude Couffon, Prologue de Ici ou nulle part, roman de Rocio Duran-­Barba, traduit de l’espagnol (Equateur) et publié aux éditions INDIGO, Paris, 2003.

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